En 2014, alors qu’il faisait la promotion de son livre Le Suicide français, Éric Zemmour avait donné une interview au journal italien Corriere della Sera, dans laquelle il affirmait notamment que les musulmans « ont leur Code civil, c’est le Coran », qu’ils « vivent entre eux, dans les périphéries », si bien que « les Français ont été obligés de s’en aller ». Bien entendu, le polémiste a immédiatement été poursuivi pour provocation à la haine raciale. Son procès s’est déroulé vendredi dernier. Boulevard Voltaire était présent à l’audience et a pu se procurer l’intégralité de son intervention à la barre, que nous reproduisons ci-dessous. Délibéré attendu le 17 décembre 2015.
C’était il y a près de cent ans. La Première Guerre mondiale venait de s’achever. Le traité de Versailles avait été signé. Un grand économiste, le plus grand de son temps, l’Anglais John Maynard Keynes, publiait un ouvrage, Les Conséquences économiques de la paix, pour expliquer que la France et les vainqueurs avaient été trop durs envers l’Allemagne vaincue, et qu’en particulier celle-ci ne pourrait jamais payer les énormes réparations pécuniaires réclamées. Un grand historien français, journaliste de profession, Jacques Bainville, lui répondit dans un livre intitulé Les Conséquences politiques de la paix. Il expliqua au contraire que le traité de Versailles avait été, selon sa célèbre formule qu’on apprenait naguère dans les cours d’histoire, « trop mou pour ce qu’il avait de dur et trop dur pour ce qu’il avait de mou ». Mais cet affrontement de points de vue sur le traité de Versailles n’intéresserait plus aujourd’hui que les historiens si, dans son livre, Jacques Bainville n’avait, avec une prescience extraordinaire, annoncé tous les événements qui conduiraient à la guerre, la remilitarisation de la Rhénanie, l’Anschluss avec l’Autriche, le dépeçage de la Tchécoslovaquie, le pacte germano-soviétique et l’attaque de la Pologne, avant celle de la France et de l’Angleterre.
Jacques Bainville prophétisait ces événements en 1920 alors même qu’Hitler n’était encore qu’un peintre raté. À l’époque, Bainville fut violemment attaqué par les Anglais et Keynes bien sûr, mais aussi et surtout par la gauche. Sa proximité avec l’Action française en faisait une cible facile. Il fut moqué, insulté, accusé d’être germanophobe, xénophobe, belliciste. Toute la gauche l’accusait de monter les Français contre les Allemands, de pousser à une nouvelle guerre, d’être un criminel, alors qu’il voulait seulement mettre en garde ses compatriotes contre les illusions et la naïveté. Il en tira une leçon que je vous livre : « Les démocraties ont coutume de reprocher à ceux qui ont prévu les événements de les avoir causés. »
Et encore, le grand Bainville ne savait pas qu’on pouvait être attaqué pour des mots qu’on n’avait pas prononcés, qu’on n’avait même pas entendus. Il ne savait pas qu’on pouvait être renvoyé par un de ses employeurs, en l’occurrence i>Télé, parce que des propos prononcés dans un journal italien n’avaient pas l’heur de plaire ni à la directrice de l’antenne ni à la rédaction. Il ne savait pas que l’expression liberté d’opinion ne valait que pour les dessinateurs de Charlie Hebdo. Il ne connaissait pas les beautés cachées de la loi Pleven, des délices et poisons de l’incitation à la discrimination et à la haine raciale. Il ne savait pas, l’heureux homme qui vivait dans une République qui respectait encore les libertés fondamentales, qu’on pouvait être traité comme un délinquant parce que ses idées ne plaisaient pas au pouvoir.
Il ne savait pas que la gauche, la gauche bien-pensante, la gauche humaniste, si bienveillante et pacifique, si laïcarde et anticléricale, avait rétabli subrepticement le délit de blasphème, qui avait été aboli à la Révolution. Oui, le délit de blasphème ! Bien sûr, il ne s’agit plus de condamner le chevalier de La Barre parce qu’il n’a pas ôté son chapeau devant une procession catholique. Mais il s’agit de condamner quiconque n’ôterait pas respectueusement son chapeau devant la nouvelle religion, la nouvelle doxa antiraciste, celle de l’identité heureuse, comme dit un ancien Premier ministre, celle du pas d’amalgame, celle de l’islam modéré, religion d’amour et de paix, celle de l’intégration harmonieuse dans le respect des différences.
Oui, tous ceux qui ne croient pas en cette nouvelle religion, tous ceux qui n’ont pas la foi doivent se taire ou être condamnés.
Ou plutôt, pour que la masse continue à se taire, il faut que certains soient condamnés. J’ai l’honneur, je dis bien l’honneur, d’être devenu une cible privilégiée. La cible privilégiée parce que mes livres ont beaucoup de succès, parce que mes interventions sont regardées, écoutées. Mes adversaires croient que je suis un danger parce que je convaincrais les Français alors que ce sont les Français qui reconnaissent en moi ce qu’ils pensent tout bas. Illusions du nominalisme !
Quand l’historien Georges Bensoussan dit dans Le Figaro : « Nous sommes en train d’assister en France à l’émergence de deux peuples, au point que certains évoquent des germes de guerre civile », que dit-il de différent de moi ? Quand il évoque le témoignage de policiers, d’élus, de médecins aux urgences, « le sentiment que deux peuples sont en train de se former, côte à côte, et qui se regardent souvent avec hostilité, ce sentiment-là est aujourd’hui partagé par beaucoup », pourquoi lui et tous ces témoins ne sont pas traînés comme moi devant ce tribunal ?
Il y a quelques mois, lors d’un autre procès – puisque je passe, désormais, une partie de ma vie au palais de justice -, la représentante du parquet me demandait si ma première condamnation, il y a quatre ans, m’avait conduit à changer mes méthodes de travail. Je lui renverrai aujourd’hui sa question : est-ce que la relaxe dont j’ai bénéficié dans une récente affaire a conduit le parquet à changer ses méthodes de travail ? Est-ce que le parquet s’est remis en cause ? Est-ce qu’il a décidé de ne plus se mêler de la vie des idées en France ? Est-ce qu’il a enfin décidé de ne plus instrumentaliser une loi pleine de belles intentions pour en faire une arme politique ? Est-ce qu’il a enfin compris que son rôle était non pas de criminaliser les opinions dissidentes mais de protéger les citoyens contre les voyous, et accessoirement de respecter la liberté de pensée et d’opinion en France, un de nos acquis les plus précieux hérités des générations précédentes ? Est-ce que ces messieurs-dames du parquet ont admis, enfin, qu’ils n’étaient pas là pour imposer l’idéologie politique de leur ministre, aussi charismatique soit-elle, de leur syndicat, aussi impérieux soit-il, ou plus prosaïquement leurs propres convictions politiques, aussi légitimes soient-elles ?
Quand le ministre de la Justice – madame Taubira, pour ne pas la nommer -, avertit dans une interview qu’il faudra compter de plus en plus avec les « gens comme nous, car ils seront de plus en plus nombreux », que fait-elle d’autre sinon opposer une partie des Français à une autre, séparés par l’origine, la race, la religion ? Est-ce que le parquet a dit quelque chose ? Quand le Premier ministre parle d’apartheid, ne fait-il pas référence à la séparation géographique de deux peuples, selon le modèle des Blancs et des Noirs en Afrique du Sud ? Séparation géographique, raciale, culturelle, avec chacun ses règles, ses lois. Je n’ai pourtant pas entendu une plainte du parquet.
Quand le parquet cessera-t-il de servir de relais à des lobbys antiracistes qui vivent du racisme, ou du prétendu racisme (et encore : de manière hémiplégique), comme d’autres vivent de la défense des baleines ou des ours ? Jusqu’à quand le parquet alimentera-t-il une logique liberticide qui rappelle les régimes totalitaires communistes, qui permet à n’importe quelle association de signaler à la police des opinions dissidentes, afin que le parquet, au nom de la défense de l’État et de la société, ne poursuive les affreux dissidents ?
À toutes ces questions, je connais déjà la réponse. Le parquet s’est empressé de faire appel de la décision de relaxe dont j’ai bénéficié il y a quelques semaines. Et m’a poursuivi pour mes propos dans le Corriere della Sera. Je préfère prévenir respectueusement le parquet et la cour : rien ne m’empêchera de continuer à dire ce que je crois, même si j’ai bien compris que rien n’arrêtera le ministère public dans sa volonté de me faire taire. J’ai bien conscience aussi d’être le pot de terre contre le pot de fer. Mais un jour, j’en suis convaincu, l’Histoire donnera raison au pot de terre, comme elle l’a donné au grand Bainville, et le pot de fer aura honte. Mais il sera trop tard.