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26/04/2016

La vie en Syrie racontée par des djihadistes français:

 

 

Depuis le début des frappes de la coalition contre l’Etat islamique, en août 2015, l’organisation aurait perdu, selon les estimations, jusqu’à 9 000 combattants. Afin de limiter l’hémorragie de ses forces vives, l’EI aurait mis en œuvre au début de l’année une politique de dissuasion des désertions, n’hésitant pas à exécuter les velléitaires. Forte de ce constat, la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), une direction d’administration centrale du ministère de la justice, invite les magistrats antiterroristes « à considérer avec une particulière vigilance » les retours récents de djihadistesfrançais, ces derniers pouvant être « potentiellement autorisés » par l’EI et « porteurs de projets terroristes ».

 

 

 

Cette mise en garde intervient en conclusion d’une synthèse inédite réalisée par la DACG à partir des déclarations de ressortissants français mis en examen à leur retour de la zone irako-syrienne. Intitulé « Recrutement, parcours et activités des combattants français », ce document, qui relate en détail leur vie quotidienne sur place, a été envoyé début octobre à l’ensemble des magistrats référents sur le terrorisme.

 

 

 

Cette note analytique d’une dizaine de pages, que Le Monde a pu consulter, revient en préambule sur des éléments déjà bien documentés relatifs au « processus de radicalisation » et aux « préparatifs au départ ». Son principal intérêt réside dans les chapitres très riches consacrés aux récits des candidats une fois qu’ils ont quitté le sol français, se soustrayant ainsi à la surveillance dont ils pouvaient faire l’objet.

 

 

  • Le « commerce » des passeurs à la frontière turco-syrienne

 

 

Les itinéraires vers la Syrie se sont largement diversifiés depuis le début du conflit. Afin de « brouiller les pistes », certains candidats français au djihad s’envolent désormais pour Istanbul à partir de pays limitrophes comme la Belgique, l’Allemagne, la Suisse ou l’Espagne, d’autres privilégiant la voie terrestre pour gagner la ville frontalière d’Antioche, en Turquie.

 

Une fois parvenus à la frontière turco-syrienne, les candidats peuvent être directement pris en charge par des djihadistes, dont certains sont français. Mais la plupart des passeurs seraient animés par de simples motivations « mercantiles », un « véritable commerce s’étant développé autour de cette activité ». Moyennant une somme comprise entre 100 et 200 euros, ils accompagnent les aspirants combattants à pied ou en camionnette, souvent de nuit, jusqu’en Syrie, où ces derniers sont réceptionnés par les groupes djihadistes. Le passage de la frontière « ne semble pas poser de lourdes difficultés et se résume pour l’essentiel à l’escalade de barbelés », résume la DACG.

 

 

Cet épisode peut néanmoins être l’occasion d’une première déception : si certains passeurs demandent aux candidats quel groupe ils souhaitent rejoindre - l’Etat islamique (EI) ou son rival Al-Nosra, une mouvance proche d’Al-Qaïda - plusieurs Français affirment ne pas avoir été consultés sur leur affectation. « Des amis partis de concert en Syrie ont pu ainsi se retrouver dans des groupes antagonistes, n’ayant pas passé la frontière en même temps et avec les mêmes personnes ».

 

 

  • Une « journée type » dans un camp d’entraînement

 

 

Les trois quarts des Français présents sur zone auraient intégré l’EI, Al-Nosra pâtissant aujourd’hui lourdement de « la concurrence avec son frère ennemi ». Une fois passées les premières formalités - serment d’allégeance et dans certains cas confiscation des papiers d’identité - les apprentis djihadistes sont assignés à résidence pendant une période d’un à deux mois dans des camps d’entraînement.

 

 

La DACG retrace une « journée type » dans ces camps : lever à 5 h 30 pour la prière, entraînement physique (course à pied, pompes, parcours du combattant), formation militaire (tirs à la kalachnikov, maniement de lance-roquettes et de grenades), conditionnement psychologique (résistance à la faim et au froid), cours de religion et tours de garde la nuit.

 

A l’issue de cette formation, les combattants sont regroupés dans des katiba - ou bataillons - par affinités linguistiques. Ce mode d’organisation aurait conduit des francophones (Français et Belges) à fonctionner en bandes fermées et à exporter une ambiance de cité en Syrie, selon le témoignage d’un ancien djihadiste. Certains agissements, tels que des marques d’indiscipline ou d’irrespect à l’égard des anciens, auraient été sanctionnés par des blâmes.

 

 

  • Ces Français qui grimpent dans la hiérarchie de l’EI

 

 

Cette indiscipline ne concerne pas tous les Français, loin de là. Plusieurs assument aujourd’hui des responsabilités en tant que chefs de groupe, membres de la police islamique ou encore imams. D’autres peuvent être combattants, infirmiers ou relégués à des « tâches subalternes » (ménage, cuisine, fossoyeurs…). L’organisation leur fournit un logement et une rémunération en fonction de leurs attributions, un mis en examen évoquant la somme de 100 dollars (environ 88 euros) pour chaque membre de son foyer.

 

 

Rares sont les anciens djihadistes français à reconnaître leur participation aux combats, la plupart admettant de simples patrouilles. L’un d’eux raconte ainsi avoir « sécurisé » avec un groupe de combattants des villages chiites ou kurdes en abattant toutes les personnes qu’il pouvait croiser. Une dizaine de Français ont par ailleurs perdu la vie dans des attentats suicide. Si l’EI sollicite des volontaires, le choix final des candidats au martyre procéderait d’une « volonté personnelle ».

 

 

  • Décapitations, flagellations et défenestrations

 

 

Il est établi, précise la DACG, que des Français « ont pris part à des exactions » à l’encontre de la population syrienne, notamment dans les villes de Rakka et Azzaz. L’un d’eux, « particulièrement marqué par son expérience », a avoué avoir participé à des séances d’égorgements publics en application de la charia. Il a reconnu avoir lui-même tenu la tête d’un prisonnierpendant sa décapitation. D’autres ont été témoins d’exécutions, de lapidations, d’amputations et de séances de flagellation « filmées » sur la place publique d’Azzaz où, deux à trois fois par semaine, « les têtes de personnes accusées d’apostat étaient coupées et exposées ».

 

 

A en croire le témoignage d’un ancien membre de la police islamique, les vendeurs de cannabis ou de cigarettes reçoivent des coups de fouet, tandis que les vendeurs d’héroïne, les homosexuels, les rebelles, les personnes accusées de sorcellerie ou d’adultère sont exécutés en pleine rue, leur cadavre restant exposé pendant plusieurs jours « avec une étiquette indiquant le motif de leur exécution ». Ce Français cite les exemples d’un garçon de 14 ans égorgé pour avoir arrêté la prière, d’un vieux sorcier décapité au sabre et d’un homosexuel défenestré.

 

 

  • Qui sont les djihadistes qui rentrent en France ?

 

 

Si les conditions semblent s’être durcies ces derniers mois pour les candidats au retour, certains ont néanmoins pu rentrer en France avec la permission de leur organisation au début du conflit syrien. Lors de leurs auditions, beaucoup ont fait part de leur désillusion face à la « lutte fratricide » entre l’EI et Jabbat al Nosra, qui motiverait un nombre croissant de retours.

 

Un Français dit ainsi déplorer que les combattants se trompent d’adversaireet se perdent dans des luttes intestines au lieu de se concentrer sur la chute de Bachar Al-Assad. D’autres retours sont motivés par la nécessité d’obtenir des soins médicaux ou, pour les femmes, par l’imminence d’un accouchement.

 

 

Mais la grande inquiétude des services antiterroristes réside aujourd’hui dans les retours « autorisés et validés » par l’EI depuis la mise en place de sa politique anti-désertion. Un djihadiste interpellé récemment décrit en effet la Syrie comme uneusine à terroristes, formés pour frapper la France et l’Europe dans un avenir très proche.

 

 

C’est aujourd’hui toute l’ampleur du défi auquel fait face la justice antiterroriste : parvenir à distinguer les authentiques repentis - parfois traumatisés par leur expérience syrienne - des terroristes envoyés à dessein par l’organisation pour poursuivre leur combat en Europe. Un exercice d’autant plus complexe que l’EI conseillerait aujourd’hui à ses membres de frapper dans des pays différents du leur pour éviter d’être repérés.

 

 

 

09:17 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

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