Ecrivain, musicienne, plasticienne
 
 
 
 
 

 

Il y a des images, au hasard des rues, qui en disent plus long que n’importe quel discours. On s’arrête soudain devant une scène qui nous fige, étonné, et l’on se dit que le monde a bien changé.

 

 

 

Ainsi au moment des vacances d’hiver ou de printemps (arrachées de haute lutte à Noël et Pâques), quand les groupes d’adolescents en « voyage scolaire » traînent autour des monuments de Paris. Il y a… quoi, dix ans, quinze peut-être ? c’était le chahut, les cris et les rires, les bousculades potaches.

 

 

 

Désormais, c’est le silence et toutes les têtes baissées, chacun le nez dans son portable. On ne lève plus la tête pour contempler les tours de Notre-Dame ou l’Arc de Triomphe. Non, au mieux on leur tourne le dos pour un de ces selfies qui partiront dire au monde qu’on était là, devant ce monument qu’on n’a même pas regardé sinon dans sa petite lucarne.

 

 

 

Un ami me racontait cet été son désarroi quand, accompagnant son petit-fils de dix ans pour un départ en colonie de vacances, une tristesse immense l’avait saisi devant tous ces enfants silencieux, eux aussi le nez dans leur portable. Il se rappelait l’excitation de nos départs, la bousculade, les rires, la joie de se faire de nouveaux amis…. Au lieu de ça, le silence, l’isolement, chacun dans sa bulle.

 

 

 

Alors, je comprends le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer qui, voulant respecter la promesse de campagne du candidat Macron, annonce pour la rentrée 2018 la suppression des portables à l’école primaire et au collège. « Nous sommes en train de travailler sur cette question pour les modalités », a-t-il déclaré dimanche au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI« , évoquant, ce qui n’est guère repris, une question de « santé publique » ; et pas seulement parce que des enfants dont le cerveau est encore malléable passent leur temps devant des écrans mais parce qu’ils n’ont plus, dans la cour de l’école ou du collège, d’activités physiques ! Fini les moments de jeux, essentiels pourtant à la socialisation comme à la santé, si bien qu’on croise aujourd’hui des adolescents qui souffrent de pathologies de vieillards…

 

 

 

 

Monsieur Blanquer a raison mais, hélas, cela ne suffit pas, car on doute grandement que cette mesure de simple bon sens puisse jamais être appliquée. C’est trop tard, je le crains.

 

 

 

Le ministre parle de casiers sécurisés. « Parfois, vous pouvez avoir besoin du téléphone portable pour des usages pédagogiques […] pour des situations d’urgence, donc il faut qu’ils soient en quelque sorte confinés », a-t-il expliqué. Cela « existe déjà » dans certains établissements, « il y a des collèges qui réussissent à le faire ». Les ministres s’en passent bien quand ils assistent au Conseil, alors pourquoi pas les gamins à l’école…

 

 

 

Sans doute, mais ça risque de coincer du côté des parents, eux-mêmes totalement accros, et pour qui le téléphone est l’ultime nounou. Une étude de 2015 chiffrait à 80 % le nombre d’enfants équipés d’un portable à l’entrée en sixième. Dans une société qui ne fonctionne qu’aux marqueurs sociaux, le portable est le sésame qui vous fait accéder au groupe et l’on peut imaginer que les primes de Noël serviront, cette année encore mais plus que jamais, à équiper des familles sans le sous avec les technologies dernier cri.

 

 

 

Levi’s et Google ont lancé, au printemps dernier, leur première veste connectée. On trouve déjà des « tenues sportives à l’intelligence artificielle », des T-shirts et des soutiens-gorge « traqueurs d’activité », et puis de jolis manteaux-traceurs pour les petits enfants, GPS intégré mieux qu’un fil à la patte. On découvre même qu’une « Maman geek » a lancé une ligne de pyjamas connectés qui permettent de « faciliter la vie des parents, créer du lien social et favoriser l’éveil des plus jeunes » (sic) en les envoyant directement… sur le portable.

 

 

Quand on vous dit que c’est trop tard !