Jerry Lewis vient de lâcher sa dernière grimace à 91 ans, âge qu’aurait eu Marilyn Monroe si elle avait encore été de ce demi-monde. Aux USA, les Américains aimaient à blaguer sur ce thème : « Il n’y a vraiment que vous, les Français, pour porter cet histrion au pinacle ! »
Il est vrai que la France est une éminente nation cinéphile. Il n’y a que François Truffaut pour disséquer l’œuvre d’Alfred Hitchcock alors que, de l’autre côté de l’Atlantique, il n’est tenu que pour aimable faiseur de films à suspense. Il n’y a aussi qu’un Bertrand Tavernier pour considérer Clint Eastwood comme auteur à part entière, tandis que là-bas, il n’est jamais que manieur de Magnum 44 – le plus puissant soufflant au monde, tel qu’affirmé dans le pré-générique du Magnum Force de Ted Post, deuxième opus des aventures de l’inspecteur Harry.
Pour donner une simple idée du niveau local, le plus gros succès de l’ami Clint n’est autre que Doux, dur et dingue, bouse consternante dans laquelle il donne la réplique à un orang-outang… De manière très logique, Jerry Lewis faisait donc figure, à Hollywood, de simple clown propre à faire rire éternels petits et grands demeurés. Tout aussi logique pour un peuple dont le seul hebdomadaire consacré au septième art se nomme Variety et se contente de compter les millions de dollars gagnés ou perdus. Ce n’est pas pour entonner le tango du cocorico, mais en cette France symbolisant à elle seule Vieux Monde et ancienne Europe, de Mad Movies aux Cahiers du cinéma, de Starfix à Positif, ça alignait tout de même un peu plus de neurones et de divisions !
Jerry Lewis, donc. Pitre à figure élastique et physionomie caoutchouteuse, inventa à lui seul un univers, tels Charlie Chaplin, Laurel et Hardy ou Buster Keaton en leur temps. Un simplet qui, voulant bien faire, ne causait que catastrophes autour de lui. Certes, sa carrière tint plus souvent du champ de navets que du caviar sur canapé, même s’il convient de sauver de l’oubli des pépites telles que Trois bébés sur les bras, Le Dingue du palace ou Le Zinzin d’Hollywood, par ses soins réalisés : Jerry Lewis était un metteur en scène très sous-estimé, même si tout le petit monde de la critique, à juste titre d’ailleurs, s’accorde à saluer l’inoubliable Docteur Jerry et Mister Love, relecture pop et foutraque du classique de Robert Louis Stevenson, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, à l’occasion duquel il tient à la fois le premier rôle, devant comme derrière la caméra.
Film éminemment représentatif de la personnalité du défunt ? Un peu, sûrement, puisque capable, à quelques années d’écart, de tenir à bout de bras son film maudit, The Day the Clown Cried(1972), tout en panouillant, en 1984, dans le non moins maudit Par où t’es rentré… on t’a pas vu sortir, du très oubliable Philippe Clair.
Dans le premier, il incarne ce clown interné dans un camp de concentration et qui tente de faire rire de petits enfants juifs avant extermination programmée. Ce film, qui préfigurait le très édulcoré La vie est belle de Roberto Benigni et le bouleversant Effroyables Jardins de Jean Becker, causa un tel scandale que le film fut interdit de diffusion, avant d’être enterré à la Librairie du Congrès de Washington.
Dans le second, mis en scène d’un pied gauche distrait par Philippe Clair, expert en bidasseries et topless tropéziens, bienvenue dans la comédie pouet-pouet patahouète. La distribution donne le vertige : Jackie Sardou, Philippe Castelli, Marthe Villalonga et Sophie Favier. Soit la face Hyde du Jekyll venant de nous quitter. Mais bon, quelle rigolade, dans le registre du petit plaisir coupable et chafouin…
Pour mémoire, on préférera se rappeler l’émouvant hommage rendu par Jerry Lewis, le 2 février 1980, à Louis de Funès, salle Pleyel à Paris, alors que ce dernier recevait un César d’honneur pour l’ensemble de sa prodigieuse carrière. Eh oui, et c’est ainsi, snobé en son pays d’adoption, notre Fufu national était vénéré à Hollywood : Woody Allen le tenait pour un géant, ne comprenant pas pourquoi il n’était pas plus célébré en nos contrées, et Charlie Chaplin rêvait de lui donner la vedette de cet ultime film qu’il ne parvint jamais à concrétiser.
La vie est parfois mal faite.
En attendant, continue de bien tenir la rampe, Jerry !
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