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29/06/2018

Jean CAU « le cathare »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est le 18 juin 1993, en plein solstice d’été que Jean Cau nous a quitté pour reposer dans sa terre natale de Carcassonne. Il vit le jour à Bram en 1925, dans cette terre dure et âpre du Lauragais qui façonne les hommes à la serpe d’une rudesse proverbiale. Comme beaucoup, les feux de paris l’attirèrent. À 25 ans, après avoir passé sa licence de philo, il partit à la conquête de la ville des prodiges.

 

 

Un drôle de paroissien

 

 

Il va rapidement devenir un des légendaires « paroissiens » du tout Paris existentialiste de Saint-Germain-des Prés. En 1947, Jean-Paul Sartre l’engagea comme secrétaire. Près de celui dont il se dira le « fils indocile », Jean Cau participera pendant neuf années à tous les grands débats de la gauche d’alors. On le trouve aux côtés de Simone de Beauvoir, Jean Genet, au cœur de cette fébrile intelligentsia, où la dialectique n’enlève rien au brillant des débats. Il occupe à cette époque, pour travailler, un miniscule bureau rue Bonaparte. Il se rend souvent au théâtre en compagnie de Simone de Beauvoir pour voir répéter les pièces de Jean-Paul Sartre. Il déclarera plus tard : « Je ne luis dois rien mais je lui dois tout ! », il ajoutera « le secrétaire de Sartre ! Jamais titre ne fut plus cocassement porté, jamais patron semblable ne naîtra sous le soleil ».

 

 

Les Temps Modernes et le Goncourt

 

 

À partir de 1949 il va collaborer à la revue des « temps modernes », il va devenir un écrivain accompli et c’est très justement qu’il recevra en 1961 le prix Goncourt pour son roman La Pitié de Dieu. Comment celui qui avait commencé sa carrière sous les auspices favorables de Jean-Paul Sartre et de France-Observateur [ancêtre du Nouvel Observateur], comment celui qui venait de recevoir le prestigieux prix Goncourt, par un de ces coups de tonnerre, par un courage fou, allait se mettre à dos tout le gratin de la gauche intellectuelle ? Comment Jean Cau est-il devenu un homme de droite ? Lui, aimait à dire qu’il se demandait comment il avait pu être de gauche. Ce paradoxe n’est qu’apparent, en se penchant sur ses racines paysannes et sudistes il affirmait : « c’est moi fils, petit-fils, et arrière petit-fils de serfs qui scande l’éloge de la noblesse ». Ce fut une prise de conscience que de réaliser qu’il appartenait à un autre monde, un monde qui n’était pas gouverné par l’argent, mais par la parole, un monde resté féodal ou seigneurs et serfs étainet précisément du même monde.

 

 

 

L’empreinte de Nietzsche

 

 

 

C’est ce qui le conduira à Nietzsche et à ses affirmations marquées de son sceau « une société inégalitaire produit des élites, une société égalitaire fabrique des malins ». Dès ces premières lignes imprimées, toute la philosophie de Jean Cau y est contenue, et sans qu’il le sache déjà, il ne pouvait pas être de gauche. Ce qu’il reprochera à notre époque est : la lâcheté, la braderie de l’héritage de civilisation légué par nos pères au profit d’un mercantilisme de bas étage, c’est de trahir ce qui a fait notre grandeur et notre force, pire c’est d’en avoir honte et de choisir la voie de l’infantilisation pour fuir les responsabilités. Ce qu’il haïssait le plus dans cette gauche « molle » c’est la légitimation idéologique de l’abaissement.

 

 

 

Retour aux sources

 

 

 

Né sur une terre dure, du côté gris de notre midi qu’il aima avec passion, il fit l’acquisition à deux pas de la mer, d’une bergerie donnant sur l’étang de Bages et de Peyriac de mer qu’il aménagea. On peut voir de ce point de vue imprenable les trains venant de Perpignan qui en rentrant dans Narbonne passe devant la maison de l’autre grand Audois, Charles Trénet qui y repose maintenant.

 

 

Sa grande passion pour l’Espagne

 

 

 

Mais la grande passion de Jean, ce fut l’Espagne, celle qui était encore fière et pouilleuse, celle qu’il chanta avec une passion brûlante dans un de ces livres phares : Sévillanes [1987]. Il retrouvait dans les valeurs héroïques du peuple espagnol, la clef de son âme, comme eux, Jean ne pouvait admettre l’amour que comme consubstantiel de la mort. Il aimait à dire que quand on aime la corrida, on ne peut être de gauche, car la corrida est le drame sacré par excellence, la dernière survivance de l’antiquité. Il aimait dans la faena « le temple », cette espèce de douceur nonchalante, qui, dans certains instants de grâce, confère une noblesse indicible recommencée chaque fois, quand l’homme et la bête s’unissent comme dans une danse d’amour et de mort. « Pour moi, quand monte la musique accordée au temple, mon âme (mes ancêtres cathares sont-ils passés par là ?) s’épure pour s’ouvrir à la lumière, ma chair se fait verbe, douce mon endurance et je m’éprouve parfait, lavé de la souillure, car ce à quoi je participe est le bien ».

 

 

La solitude du réprouvé

 

 

 

Son cheminement fut exemplaire. Il faut faire preuve d’un courage hors-norme pour après avoir été à la mode, accepter le rôle du réprouvé, affirmer seul contre tous, que la grandeur est mieux que la bassesse, que l’héroïsme est plus honorable que la capitulation, que l’amour est préfèrable à l’érotomanie, que la guerre nécessite des vertus, et surtout que les peuples lâches sont asservis par les peuples braves. La dernière étape de son chemin de croix fut quand il assuma sans peur son nationalisme européen. La sanction ne se fit pas attendre : tous ses amis lui sont tombés dessus ; dès que son nom était prononcé, c’était des cris d’orfraies, dès qu’un de ces livres était publié c’était la chape de plomb du silence de la part des critiques, mais peu importe, il ft preuve d’un talent éclatant, fait de culture et d’ironie, sans parler de son immense contribution au journalisme.

 

 

 

À l’image de Fausto Coppi et de Manolete

 

 

 

C’est pudiquement et silencieusement que ce fils de petites gens du Languedoc, s’en est allé un vendredi de juin, à la veille de sa soixante-huitième année. Il représentait l’archétype du cathare insoumis, lui qui avait le physique de ses deux idoles Fausto Coppi et Manolete, issu comme il aimait à le dire d’une famille et d’un pays maigres, ce qu’il considérait comme une chance. Il était doté d’un orgueil qui le faisait appeler « le loup », en raison de son allure solitaire, il possédait une certaine idée de la France et de l’Europe, à laquelle nous sommes attachés et qui, pour nous comme pour Jean, rien ne peut venir en altérer notre fidélité. Toi, l’amoureux du terroir, de notre hsitoire et de sa grandeur, tu nous as montré la vraie liberté à travers ta vie et ton écriture, tu restes toujours présent dans nos cœurs.

 

 

 

Jean-Pierre Blanchard, Montségur n°6, nov. 2001.

 
 

09:19 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)